Le procès du Petit-Clamart

"Devant l’Histoire, devant nos concitoyens et devant nos enfants, nous proclamons notre innocence, car nous n’avons fait que mettre en pratique la grande et éternelle loi de solidarité entre les hommes."

Par cette phrase, le Colonel Jean Bastien-Thiry achève la déclaration qu’il a voulu prononcer devant ses juges le 2 février 1963, cinq jours après l’ouverture du procès du Petit-Clamart. Dans cette longue allocution, il ne cherche pas à se soustraire à la peine qu’il encourt. Son seul but est de faire comprendre à ses concitoyens les motifs de son action. Sans aucune complaisance, et avec une clairvoyance prophétique. il expose les raisons pour lesquelles il juge qu’"il n’est pas bon, il n’est pas moral, il n’est pas légal", que le personnage auquel il s’est attaqué "reste longtemps à la tête de la France". Dès lors, l’accusé n’est plus Bastien-Thiry mais De Gaulle.

Cela ne lui sera pas pardonné : la Cour militaire de Justice le condamnera à mort et la grâce présidentielle lui sera refusée.

Jean Bastien-Thiry est allé librement jusqu’au bout de ce que sa conscience lui dictait. Il est parti en paix : comme en témoigne Maître Le Corroller, présent à son exécution : "Lorsqu’il fut mort, après que la salve eut déchiré l’aube naissante. son visage était celui d’un enfant, doux et généreux".

Hélène Bastien-Thiry

Extraits audio de la déclaration du colonel Jean Bastien-Thiry

Déclaration du Colonel

Allocution d’Alain Bougrenet de la Tocnaye

Allocution d’Alain Bougrenet de la Tocnaye

Minutes du procès et plaidoiries

Plaidoiries
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Chronique du procès

Texte extrait de Un avocat pour l’Histoire, ouvrage posthume de Jean-Marc Varaut, publié en 2007 chez Flammarion, pp 124-131.

"La cour militaire de justice ne vécut pas longtemps. Créée par l’ordonnance du 1er juin 1962, elle fut déclarée illégale le 19 octobre par un arrêt du Conseil d’État. Le Conseil d’État estima que cette ordonnance était entachée d’illégalité en raison de l’« importance et de la gravité des atteintes que l’ordonnance attaquée apporte aux principes généraux du droit pénal en ce qui concerne notamment la procédure qui y est prévue et l’exclusion de toutes voies de recours ». En quelques lignes, cette juridiction cessait d’exister. Elle était condamnée à mort par le Conseil d’État. Et André Canal, qui devait être fusillé le lendemain de l’arrêt, eut de ce fait la vie sauve. Il fut ensuite gracié par le chef de l’État. Sur-le-champ, la colère présidentielle fut égale à celle qu’avait provoquée l’arrêt Salan. Le mépris dans lequel il tenait les décisions judiciaires, se manifesta par un communiqué du gouvernement faisant savoir qu’il tenait « pour anormale la jurisprudence qu’un tel arrêt tendait à instaurer » et comme un « encouragement à la subversion ».

Pour faire échec à cet arrêt, le gouvernement fit appel au Parlement. La justice ayant annulé la cour militaire comme illégale pour avoir violé les principes de Droit et les droits de la défense, on fit dire par une loi que la cour militaire était juste en validant l’ordonnance que le Conseil d’État avait déclarée nulle. Prudemment, le projet de loi fut enveloppé dans un projet plus vaste instituant la cour de sûreté de l’État. Les parlementaires purent croire que la validation rétroactive de l’ordonnance du 1er juin ne concernait que le passé et ne visait qu’à apaiser l’amour-propre du président de la République et à rassurer les juges qui avaient condamné à mort et fait exécuter Degueldre ; qu’elle ne concernait que le passé.

Mais à peine la loi du 16 juin 1963 promulguant la cour de sûreté de l’État était-elle publiée au journal officiel qu’un décret présidentiel renvoya devant sa cour militaire les accusés du Petit-Clamart. Le choix de la cour militaire, instrument docile et d’autant plus docile qu’illégitime, – il ne survivrait que par la volonté de l’exécutif – suffisait à exprimer l’intrusion du pouvoir dans le cours de la justice. Inaugurée par le suicide du général de Larminat, elle s’acheva avec l’exécution du colonel, Bastien-Thiry.

Relevons que le droit constitutionnel juridictionnel ne permettrait plus aujourd’hui cette détestable pratique, dont la République a souvent usé, qui est de faire effacer les censures judiciaires, et les arrêts du Conseil d’État par la loi. Le contrôle de la conformité des lois avec les principes généraux de la République par le Conseil constitutionnel aurait entraîné l’annulation de la disposition de la loi de 1963 ressuscitant pour quarante jours la juridiction condamnée par le Conseil d’État, pour les motifs même de cette décision : les atteintes portées par l’ordonnance constitutive de cette nouvelle juridiction d’exception aux principes généraux du droit.

Le 22 août 1962, le président de la République qui avait quitté l’Élysée en voiture pour se rendre à Villacoublay où il devait prendre un avion qui le conduirait à Saint-Dizier se trouva pris sous le feu croisé d’armes automatiques au moment où il arrivait au carrefour du Petit-Clamart. Le cortège présidentiel poursuivait son chemin sans qu’aucun des passagers n’ait été atteint. Les conjurés parvenaient à disparaître. L’enquête conduite par le commissaire divisionnaire Bouvier aboutissait rapidement à l’identification de quinze conjurés et à l’arrestation de neuf d’entre eux.

Après une instruction attentive, les agresseurs du général de Gaulle, sur décret du général de Gaulle, sont traduits devant la cour militaire de justice que le Conseil d’État a déclarée illégale par arrêt du 19 octobre 1962, mais que le général de Gaulle avait expressément fait reconduire et légitimer par la loi du 15 janvier 1963 et dont le jugement devait être soumis par la procédure du droit de grâce, seul recours possible au général de Gaulle, ainsi tout à la fois victime, accusateur et juge. Le Premier ministre Pompidou déclara que le chef de l’État faisait de cette affaire « une affaire personnelle ». Cet aveu ne bouleversa que les défenseurs des accusés qui sachant que la mort est au terme de la procédure (qui subsiste avec les vices qui ont été la raison de sa condamnation) voient leur devoir tracé : gagner du temps, par tous les moyens légaux, pour les soustraire à la cour militaire dont la survie avait été limitée par la loi à quarante jours, soit jusqu’au 24 février.

Pour avoir rempli avec acharnement sa mission, la défense animée et conduite par Tixier-Vignancour, Isorni, Dupuy et Le Corroller s’entendra insultée à la tribune de l’Assemblée nationale. Et Jacques Isorni sera en cours d’instance la victime de ce devoir rempli jusqu’au bout, sans esprit de recul par bien peu d’hommes cernés de toutes parts par l’hostilité et l’indifférence.

Le procès débuta le 28 janvier 1963 à 10 heures du matin au Fort-Neuf de Vincennes. Dans cette salle sans solennité à l’éclairage d’aquarium, peuplée d’hommes en armes et de policiers en civil, les robes des avocats sont le symbole de la justice. Après l’interrogatoire d’identité, la parole est donnée à Tixier pour le dépôt des conclusions qui tendent à voir déclarer nul le décret du président de la République en date du 16 janvier 1963 qui renvoie les accusés devant la cour militaire. Ce décret a été pris par application de la loi du 15 janvier 1963 qui, promulgée le 16 au journal officiel, ne pouvait par application de l’article 1er du code civil recevoir application que le lendemain, soit le 17 janvier.

L’impatience manifeste de la cour et du ministère public au cours de cette matinée, le rejet de nouvelles conclusions, l’invitation faite aux avocats de passer outre – « C’est la première fois, s’écrie Isorni, qu’une juridiction est appelée à juger contre la montre ! » – provoquent le départ des avocats. Ils sont après quelques discussions commis d’office par le bâtonnier. Il est alors procédé à l’exposé des faits. Les audiences des 31 janvier et 1er février sont consacrées à l’interrogatoire des accusés, non sans éclats : « Bertin : J’ai fait mon devoir, faites votre métier. »

C’est le 2 février que le chef des conjurés, le lieutenant-colonel Bastien-Thiry prononce sa déclaration à laquelle la mort a donné son retentissement et sa pérennité. Face à ses juges, il conteste la légitimité du seul homme dont il aurait pu espérer la vie. Il ne l’appelle que le pouvoir « de fait ». Il revendique toutes les responsabilités de l’action entreprise au nom du droit de résistance à l’oppression et la légitime défense.

« Le pouvoir de fait a la possibilité de nous faire condamner, mais il n’en a pas le droit. Les millions d’hommes et de femmes qui ont souffert dans leur chair, dans leur cœur et dans leurs biens, de la politique abominable et souverainement injuste qui a été menée sont avec nous dans ce prétoire pour dire que nous n’avons fait que notre devoir de Français, devant l’Histoire, devant nos concitoyens et devant nos enfants, nous proclamons notre innocence, car nous n’avons fait que mettre en pratique la grande et éternelle loi de solidarité. »

Cette longue déclaration qui occupe l’audience du 2 février se poursuit malgré la fatigue de Bastien-Thiry. Le président refuse tout report et lui enjoint de continuer. Il faudra qu’un médecin constate qu’il est effectivement fiévreux et réellement fatigué pour que l’audience soit renvoyée. C’est au cours de cette demande de renvoi justifiée par la prolongation inhabituelle de l’audience que le colonel Reboul fit à haute voix cette réflexion au président qui est à l’origine de l’exclusion d’Isoni : « il n’avait qu’à moins parler. »

Les défenseurs décident de récuser le colonel Reboul pour avoir traduit par cette réflexion sa partialité. Le soir même, Isorni recevait une lettre de Francis Boyer, un des anciens collègues de Reboul au tribunal militaire de Rastadt, chargé de la répression des crimes de guerre. M. Boyer avait été frappé par son esprit de répression systématique et rapportait une réflexion du juge Reboul à son adresse : « Qu’êtes vous venu faire ici si vous ne voulez pas condamner ? »

Le mardi 5 février, après que Tixier-Vignancour a plaidé sa demande de récusation, Isorni, avec l’autorisation de l’expéditeur, donne à la cour lecture de cette lettre. Sans attendre les commentaires et les réserves qu’il pouvait faire, le colonel Reboul l’interrompt et le général Gardet lui retire la parole :
« Me Isorni : Voulez-vous me permettre de terminer ?
– Colonel Reboul : non
– Me Isorni : Qui m’a donné la parole, est-ce vous ou M. le président ?
– Le président : Je donne la parole au colonel Reboul. »

Le procureur général demande une suspension et revient deux heures et vingt minutes plus tard, avec des réquisitions par lesquelles il demande la radiation du barreau d’Isorni. Il n’est accordé que vingt-quatre heures à Tixier-Vignancour pour improviser la défense de son confrère, tenter de sauver sa « tête professionnelle » véritable plaidoyer pour la défense qu’il prononce le 6 février, date anniversaire de l’exécution de Robert Brasillach qu’Isorni avait défendu. Après une dernière déclaration d’Isorni, la cour le frappe d’une suspension de trois années. Décision sans recours et immédiatement exécutoire qui prive Prévost du défenseur qu’il a choisi et frappe la défense à travers lui. Décision sans précédent qui crée la plus grave menace qu’on ait jamais fait peser sur le barreau depuis la Révolution.

Pour n’avoir avec courage, avec désintéressement, avec foi courtisé que le malheur, Isorni peut dire à ses juges avec légitime orgueil : « Je sais que chassé de la barre, je n’aurai pas trahi mon serment de défenseur et qu’aujourd’hui ou demain la défense n’oubliera pas mon nom. » Au moment où, écarté de la barre qu’il avait illustrée après avoir salué le bâtonnier, il s’éloignait, s’élève du groupe des accusés et des avocats debout pour le saluer le chant fraternel : Ce n’est qu’un au revoir.

La gauche ne s’émeut guère de cette mort professionnelle puisque c’était Isorni. De même elle s’était montrée dans l’ensemble favorable aux improvisations judiciaires gaulliennes pace que c’était l’Algérie française et l’OAS qu’elles écrasaient. Quand la gauche s’alarma, il était trop tard : la cour de sûreté de l’État était née. À l’inverse, l’ordonnance de 1960 avait trouvé la droite soit indifférente, soit approbatrice parce qu’elle menaçait Jacques Vergès et les avocats du FLN. Nos partisaneries, l’Histoire à sa manière, les a brocardées, l’ordonnance de 1960 servit à frapper Isorni ! Comment au moment de l’enlèvement de Ben Barka, la gauche aurait-elle mobilisé une opinion qui l’avait vu satisfaite de l’enlèvement d’Argoud ?

Il s’ensuivit un long interlude nécessité par la nomination d’office de ses successeurs dont je suis.

Le 14 février au matin, dès que la cour entre en « séance », ainsi que s’exprime le général Gardet, Tixier demande la parole pour protester contre les paroles prononcées par le Premier ministre à la chambre, qui a qualifié l’action de la défense de « scandale national et international ». Il expose qu’il était de son devoir de retarder les débats pour parvenir au moment où ses clients pourraient être déférés devant une juridiction comportant une voie de recours. Il conclut :
« Enfin, messieurs, et j’en aurai terminé, M. le Premier ministre a bien voulu injurier la défense dans des termes qui, à ma connaissance, n’avaient jamais été employés. Nous sommes à cet égard complètement désarmés. La cour militaire de justice n’ignore pas que les paroles prononcées dans l’enceinte des assemblées délibérantes ne sont pas susceptibles d’être poursuivies devant les tribunaux. C’est pourquoi, jadis, quand il y avait de réelles assemblées délibérantes, le président Léon Blum et M. Maurice Barrès, le président Clemenceau et M. Édouard Drumont vidaient certaines querelles conformément au code de l’honneur. »

Les 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, et 23 février sont consacrés à l’audition des témoins de la défense. Tixier et le Corroller ont dépouillé de tonnes de documents, reçu des centaines de personnes pour établir cette liste de témoins qui vont défiler devant la cour et par leurs dépositions accumuler les charges qui sont autant de mobiles pour les accusés :ce sont les survivants des fusillades d’Alger et d’Oran ; des femmes et des enfants chassés de leur pays ; des officiers obligés de trahir les serments prêtés sur ordre ; les victimes de tortures ; les harkis venus dire que l’on a égorgé leur père, leurs frères, leurs enfants. Pourquoi ?... Parce qu’ils étaient pour la France. C’est le lieutenant Saint-Gall de Pons qui commandait une section de tirailleurs, le 26 mars, rue d’Isly, auquel Tixier arrache phrase après phrase, comme un pêcheur ramenant sur la rive avec d’infinies précautions un dangereux poisson, la vérité sur cette tragédie délibérée dont les accusés ont dit qu’elle avait été la raison déterminante de leur engagement. Ces témoins, témoins de toutes les catégories, témoins selon Pascal que ces témoins qu’on égorge, venus raconter les chemins divers de leur malheur commun sont les fantômes de l’Algérie qui déjà s’éloigne. Parfois ils pleurent parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps d’apprivoiser leur malheur.

Lorsque, le 25 février, le procureur général prononce son réquisitoire au nom du « mouvement d’émancipation qui affecte la terre entière » et demande sept condamnations à mort, l’histoire des derniers mois de ce qui n’est plus l’Algérie française a été racontée par les témoins et les victimes. La suite des débats auprès les réquisitions avait été renvoyée au 27 pour entendre nos plaidoiries. Mais, entre-temps, des faits nouveaux s’étaient produits. Sari, contre lequel l’accusation avait requis par défaut la peine de mort, est arrêté. Le procureur obtient la disjonction de son cas audition préalable. Un autre incident est soulevé :depuis plusieurs heures, e colonel Argoud, enlevé à Munich au mépris du droit des gens, par des individus non identifiés, a été livré à la police. Se fondant sur une information reprise par toute la presse selon laquelle le colonel Argoud aurait été livré pour avoir manqué l’opération du Petit-Clamart, Tixier demande son audition et qu’il soit sursis à statuer jusqu’à la confrontation avec de accusés. La cour fit droit partiellement aux conclusions en ordonnant que le colonel Reboul procède à l’audition du colonel Argoud. Il en est dressé procès-verbal dans l’après-midi du 28.

La parole est alors à la défense. Nous sommes dix-huit à plaider. J’ai été commis d’office par le bâtonnier pour Pierre Magade après la suspension d’Isorni. La chronique judicaire rend compte de mon intervention. Combat :
« Deuxième avocat de Magade c’est Me Varaut. Me Varaut c’est le feu, le lyrisme, de l’éloquence pressée, fiévreuse, frémissante, frissonnante, celle d’un poète et celle d’un être sensible. Il a des dons des images. Celui des formules et des tableaux. Son propos sera le chemin qui a conduit Magade d’Alger à Vincennes. Ce climat obsessionnel auquel des têtes plus solides que celle du petit pied-noir n’ont pas résisté.

Pour juger Magade, il faudrait avoir vécu à Alger à cette époque-là. Brusquement l’ennemi ce n’est plus le fellagha ; l’ennemi c’est lui. »

L’après-midi du 4 mars voit le moment pour Tixier de se lever en finale. Il prononce à cette occasion la plus longue plaidoirie de sa carrière. En vain, il va tenter d’atteindre l’esprit et le cœur des hommes assis en face de lui, comme au garde-à-vous, le regard à six pas. Ces regards, il ne les rencontrera qu’au moment de l’adjuration finale qui provoque des « mouvements divers ».

La cour se retire pour délibérer à 19 h 45. Elle reprend son audience à 22 h 30 pour donner lecture de l’arrêt qui condamne trois des accusés présents à le peine de mort : Bastien-Thiry, Bougrenet de La Tocnaye, Prévost. Ce qui me frappe lorsque nous nous retrouvons dans les dépendances de la cour, c’est l’air d’extrême jeunesse de Bastien-Thiry. Dans son uniforme bleu de l’armée de l’air marqué du rouge de la Légion d’honneur, il ne paraît pas ses trente-cinq ans. Sa jeunesse grave aussi. Alors que tous s’embrassent, lui seul semble ne pas participer à cette effusion désespérée. Les mains se tendent. Les regards se rencontrent. Il sourit. Mais déjà il est absent. Comme souvent au ours du procès, lui prompt à la réplique, lorsqu’il fermait les yeux et semblait ailleurs.

Dès le lendemain, les recours en grâce sont déposés. Le 8 mars dans l’après-midi, les défenseurs sont reçus en audience. À l’aube du 11 mars 1963, le procureur général Gerthoffer, accompagné du colonel Reboul substituant le général Gardet, vient annoncer à Bastien-Thiry que la demande de grâce déposée par ces avocats est rejetée par le général de Gaulle. Il ne manifeste qu’un souci, connaître le sort réservé à ses coaccusés, condamnés à mort comme lui. Quand il apprend qu’ils ont été graciés, il eut un soupir profond de soulagement. Il écrit à sa femme et à ses filles et demande à assister à la messe dite par son ami le R.P. Vernet. Les témoins l’ont vu alors se transformer au point que son visage, où ne subsistait aucune trace des passions du monde, se modifia. Et lorsqu’il fut mort, après que la salve eut déchiré l’aube naissante, son visage était « celui d’un enfant, doux et généreux », rapporte Bernard Le Corroller."

Compte-rendu des analyses psychiatriques

Expertises psychiatriques de Jean Bastien-Thiry

Expertise du personnel navigant (datée du 19 janvier 1960 et publiée en partie dans « Mon père, le dernier des fusillés », éditions Michalon, P.162)

« Après une période de convalescence d’un mois, le sujet a repris son travail en mai 1959. A cette date, tous les symptômes psychopathologiques antérieurs avaient disparu, et on pouvait noter un retour à la normale de l’humeur, des possibilités de travail intellectuel et du sommeil. Cet état de guérison s’est maintenu depuis lors et on ne note à l’examen de ce jour, aucun phénomène anormal sur le plan psychologique. » Le médecin capitaine Gelly conclut : « Aptitude conservée ».

Expertise psychiatrique ordonnée par le juge Reynaud (28 septembre 1962) (« Mon père, le dernier des fusillés », éditions Michalon, P.163-167)

« Nous, soussignés, docteurs Jean Lafon et Georges Boitelle, neuropsychiatres, médecins chefs de service à l’hôpital psychiatrique de Villejuif et y demeurant. Experts assermentés près la cour d’appel de Paris. Commis à l’effet de procéder à l’examen psychiatrique de l’inculpé et dire notamment : 1° si cet examen révèle chez lui des anomalies mentales ou psychiques ? Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent ; 2° si l’infraction reprochée est ou non en relation avec de telles anomalies ? 3° s’il présente un état dangereux ? 4° s’il est accessible à une sanction pénale ? 5° s’il est curable ou réadaptable ? Attestons avoir accompli nous-mêmes les opérations d’expertise, en notre âme et conscience ; et en avons consigné les résultats dans le présent rapport, dont nous affirmons le contenu sincère et véritable.

Examen de l’inculpé :

Bastien-Thiry - que nous avons examiné à la prison de la Santé - est un homme de taille moyenne, qui se montre détendu pendant l’examen. II parle lentement ; ses propos sont un peu atones et à aucun moment il n’a d’explosion passionnelle. Il confirme avoir fait partie du groupe d’étude qui avait projeté cet assassinat dont il a assuré la direction . Pour lui, cela a évidemment posé certains problèmes moraux, en particulier en raison même de ses convictions religieuses, il eut besoin, dit-il, de s’éclairer auprès de personnalités prudentes et de bon conseil qui l’ont ancré dans l’idée qu’il n’enfreignait pas la doctrine religieuse, en fonction même de ce que, dit-il, il s’agissait d’un acte de « légitime défense ». S’il ne cherche pas à minimiser sa responsabilité, il dit qu’il n’a été qu’un maillon dans l’organisme qui a préparé cet attentat. Son désir était d’éviter que des passants, ou même le service d’ordre, soit atteints. Il nous dit que, si des voitures étaient passées, il n’aurait pas donné le signal de tir.

Bastien-Thiry, qui n’est absolument pas un exalté, a évidemment envisagé les conséquences de son acte, d’autant plus qu’il est marié et qu’il est père de trois enfants, âgés de sept, cinq et deux ans, mais il a estimé qu’il était de son devoir d’agir ainsi, pensant « pouvoir retirer des nuages sur l’avenir de ses enfants » - « Nous voulions verser le sang d’un coupable pour éviter la mort d’innocents » - « Pour nous, ce n’était qu’une simple opération militaire, plus importante que les autres, mais pas différente dans son esprit de celles qui se passaient dans les djebels » - « Ce n’était pas un assassinat, mais une simple exécution ». Tous ces propos, dont certains peuvent un peu choquer l’interlocuteur, sont formulés avec le même calme qu’aurait vraisemblablement Bastien-Thiry s’il parlait de fusées ou d’engins balistiques.

[...] Il n’a jamais présenté de maladies graves ; simplement, il y a trois ans, il a dû subir une cure de sommeil à la Maison de santé de Ville-d’Avray, étant un peu déprimé et fatigué physiquement. Il insiste bien sur le fait que ce moment dépressif a été lié à un certain surmenage et que, ni avant ni après, il n’a présenté de périodes de dépression ou d’excitation.

L’étude du niveau mental est évidemment assez superflue. Bastien-Thiry, par la place qu’il occupait, les études accomplies, a nécessairement un niveau intellectuel largement supérieur à la moyenne et il serait grotesque d’étudier aux tests habituels le niveau réel.

L’étude de l’affectivité montre que l’émotivité est bien contrôlée. Bastien-Thiry est un homme déterminé, non exalté, dont la personnalité ne présente pas les traits classiques de la structure paranoïaque. Il ne se montre à aucun moment, pendant l’examen, revendicatif ou aigri. Comme caractère, il se juge calme, assez paisible et, s’il lui est arrivé d’avoir, au début de sa carrière, quelques différends avec ses supérieurs, ils ne furent que modérés et il nous dit ne pas être considéré comme de contact difficile. Il n’existe pas de tendance dépressive, même liées à sa situation actuelle. Bastien-Thiry est très religieux pratiquant. Ses conceptions politiques sont déjà anciennes et ne seraient, d’après lui, que le simple développement de ce que furent ses idées orientées vers le nationalisme et l’anticommunisme. Ses conceptions se sont trouvées, dit-il, fortifiées depuis 1958. Nous n’avons relevé chez l’inculpé aucune anesthésie affective réelle, malgré le grand calme qu’il montre toujours pendant l’examen ; sa pensée n’est pas marquée de psychorigidité, mais il a tendance dans ses jugements à appliquer une certaine logique mathématique qu’il pousse jusqu’au bout. Il sourit lorsque nous lui faisons remarquer qu’il a été dit dans la presse, qu’organisé comme il l’était, l’attentat ne devait pas échouer ; il reconnaît qu’il était bien monté, mais qu’il y a des impondérables qui peuvent entraîner l’échec.

Bastien-Thiry n’a jamais présenté de traumatisme crânien grave et nous ne relevons chez lui aucun symptôme pouvant faire suspecter un état délirant de structure, en particulier passionnelle. Aucun épisode convulsif, en rapport avec une comitialité, n’existe.

L’examen physique montre un développement normal. Il mesure un mètre soixante-dix-sept et pèse soixante-quinze kilos. Le pouls est calme à soixante-seize. Aucun des appareils explorés ne montre d’anomalie.

Discussion :

Bastien-Thiry est un homme d’un niveau intellectuel supérieur avec toutefois un jugement un peu rigide, comme cela est fréquent chez les mathématiciens, sans qu’existent d’éléments de structure paranoïaque. Il n’est absolument pas un passionné, au sens psychiatrique du terme, ni un exalté. C’est un homme calme, déterminé. Il aurait présenté antérieurement un petit épisode dépressif qui fut sans lendemain ; et son humeur est habituellement égale.

Conclusions :

Aucun trouble n’a pu être retenu pouvant faire suspecter une maladie mentale évolutive ou fixée.

Le problème de l’état dangereux et d’accessibilité à la sanction se pose très différemment en face d’un délit politique que pour un méfait de droit commun ; nous pouvons simplement dire qu’au sens médical du terme, il n’est pas dangereux et il n’est pas désadapté.

1°- L’examen psychiatrique ne révèle chez lui aucune anomalie mentale ou psychique.

2°- Il ne présente pas d’état de dangerosité, au sens médical du terme.

3°- Il est très difficile de répondre sur l’accessibilité à la sanction des délits politiques.

4°- Bastien-Thiry n’est pas désadapté.

Docteur Jean Lafon. Docteur Georges Boitelle. »

Déposition du docteur Jean Lafon, médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, au procès du Petit-Clamart, audience du 13 février 1963 (« Le procès de l’attentat du Petit-Clamart », éditions Albin Michel, P.464-465)

Pour Bastien-Thiry, également l’éducation a été normale, dans un milieu familial très satisfaisant, sauf que son père devenu veuf s’est remarié. Officier d’active, ancien polytechnicien il a, dit-il, et contrairement à ce qu’on a prétendu, conservé de bons rapports avec son fils ; simplement, ils ne sont pas tout à fait d’accord sur la question de la politique, mais ils évitent simplement d’en parler et ils ne sont pas brouillés pour autant. Ils ont toujours eu des relations familiales normales.

Il a été élevé à Lunéville, dans des pensions catholiques. Il a passé très normalement, très facilement, ses baccalauréats et a préparé l’Ecole Polytechnique, je crois à Sainte Geneviève ; il a été reçu au concours d’entrée, est sorti de cette école, est entré dans l’Armée sous la forme de l’aviation militaire et il s’est occupé de questions purement techniques dans l’Armée.

Il n’a jamais présenté de maladie particulière. Sa vie familiale me paraît extrêmement équilibrée et extrêmement stable. Au point de vue intellectuel, on ne peut pas parler chez lui de « troubles intellectuels », c’est certainement un homme passionné, mais dont la passion est relativement froide, c’est-à-dire qu’elle ne s’extériorise pas par des éclats de voix, par des manifestations extérieures, néanmoins il y a chez lui une sthénie, une rigidité doctrinale qui est assez nette, assez ferme, qui n’a absolument rien de pathologique. Je ne dis pas que c’est un fanatique, c’est tout au moins un dogmatique, dont les idées sont particulièrement précises, particulièrement nettes. Elles valent ce qu’elles valent, mais elles ne sont pas pathologiques pour autant. Par ailleurs, ni au point de vue affectif, ni au point de vue humeur, ni au point de vue caractère, on ne trouve chez lui rien qui soit inquiétant ou rien de particulier.

Déposition du docteur Roumajon au procès du Petit-Clamart, audience du 13 février 1963 (« Le procès de l’attentat du Petit-Clamart », éditions Albin Michel, P.477-478)

Bastien-Thiry : sur le plan intellectuel, niveau tout à fait supérieur, comme on a peu l’occasion d’en rencontrer. Une intelligence très brillante, qui a la notion d’ailleurs de sa valeur, et une certaine façade rigide de mathématicien, très logique, très stricte, très précise, très rationalisante, qui recouvre en fait un état anxieux important. Ce qui m’a frappé après un moment d’entretien avec lui, c’est que, comme c’est souvent le cas chez ces gens trop rationnels, on trouve derrière cette façade une anxiété, une anxiété diffuse, une angoisse métaphysique certainement localisée au départ, c’est souvent l’origine même de ces carrières extrêmement rationalisées, où on a l’impression que les sujets se forment une espèce ce corset intellectuel et social destiné à les maintenir et à les protéger contre leur propre angoisse intérieure.

Chez lui, cette angoisse, malgré le désir qu’il a de n’en rien laisser paraître, l’a certainement entraîné à un certain moment à des poussées dépressives, finalement plus fréquentes qu’on veut bien le dire, parce que c’est un homme qui médite beaucoup, qui réfléchit souvent sur ses problèmes intérieurs et qui s’en tire toujours par cette espèce de rationalisme rigide qui, au fond, lui assure un monde stable, un monde connu, où il y a des points précis dont on ne bouge pas, sur lesquels on peut s’appuyer, ce qui fait que tout élément qui veut intervenir pour bouleverser ce monde est considéré comme un danger. Il faut trouver une adaptation. Cette adaptation étant dans sa ligne à lui un problème, car c’est une ligne purement mathématique.

A côté de cela, derrière cette adaptation, il y a une attitude volontiers orgueilleuse, mais il a laissé passer une certaine émotion en parlant de ses enfants, et il semble que ce soit une de ses lignes les plus importantes. Il a exprimé sa grande angoisse pour ses enfants et, dépassant ses enfants, pour la génération future, et c’est un peu dans cet esprit que s’est constitué chez lui le désir d’une action qui viserait à maintenir un monde antérieur, en tout cas quelque chose de connu, d’identifié, de précis, à l’intérieur duquel on serait stable, qui ne vous trahit pas, de façon que les conflits puissent s’apaiser, que rien ne change, que tout soit sûr dans l’avenir, comme le présent est sûr.

C’est une personnalité très riche. Il y aurait évidemment beaucoup de détails à en dire. Ce sont quand même là les lignes principales, et surtout le trait marquant, c’est la lutte permanente qu’il mène contre sa propre anxiété, avec cette façade, cette apparence de rigidité dans laquelle il se contient.

Du tyrannicide

Textes issus de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin à propos du tyrannicide.
(IIa IIae Qu 42. sur les deux articles de la question, voir la fin de l’article 2 (en gras en annexe))

" Toutefois, le péché de sédition appartient d’abord et à titre de principe à ceux qui excitent la sédition. Ceux-là pèchent très gravement. Secondairement, à ceux qui les suivent, et qui troublent le bien commun. Quant à ceux qui défendent le bien commun en leur résistant, ils ne doivent pas être appelés séditieux ; pas plus que ceux qui se défendent ne sont coupables de rixes, nous l’avons dit. (...) Le régime tyrannique n’est pas juste parce qu’il n’est pas ordonné au bien commun, mais au bien privé de celui qui détient le pouvoir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition ; si ce n’est peut-être dans le cas ou le régime tyrannique serait renversé d’une manière si désordonnée que le peuple qui lui est soumis éprouverait un plus grand dommage du trouble qui s’ensuivrait que du régime tyrannique. C’est davantage le tyran qui est séditieux, lui qui nourrit dans le peuple les discordes et les séditions, afin de pouvoir le dominer plus sûrement. C’est de la tyrannie, puisque c’est ordonné au bien propre du chef, en nuisant au peuple."

Saint Thomas traite de la sédition ( guerre civile) comme péché contre les effets de la charité, ici la paix. Sa conclusion montre que tuer un tyran n’est pas séditieux et que cette action peut être donc un acte de charite envers la multitude.

Le colonel avait raison :
un acte de force pouvait être un acte d’amour !

« Nous savons qu’il existe un cinquième commandement qui nous interdit l’emploi de la force, sauf dans des cas précis qui ont été étudiés et définis par l’Église ; de même qu’il existe un deuxième et un huitième commandement qui interdisent à tous, singulièrement aux Chefs d’État, les faux serments, les mensonges destinés à abuser de la bonne foi de leurs concitoyens. Mais nous savons aussi qu’il existe un premier commandement, qui est le plus grand de tous, et qui nous commande la charité et la compassion envers nos frères dans le malheur. C’est pourquoi il a été de tout temps admis dans la chrétienté que, dans certaines conditions, un acte de force pouvait être un acte d’amour ; et c’est pourquoi selon l’enseignement traditionnel, peuvent être licites des actions de force dirigées contre ceux qui ont perdu le sens moral et le sens humain, et qui précipitent dans la désolation ceux qu’ils ont la charge de protéger et de défendre. Si l’action que nous avons menée, en accord avec les représentants de toutes les élites de la nation, avait réussi, l’une des premières conséquences escomptées eût été l’arrêt du génocide en Algérie. L’actuel Chef de l’État aurait pu arrêter ce génocide en donnant un seul ordre, qu’il n’a pas donné, et, à notre avis, il en portera à tout jamais la responsabilité. » (Extrait de la Déclaration du 2 février 1963)

ANNEXES

ARTICLE 1 : La sédition est-elle un péché spécial ?

Objections :
1. Apparemment non. En effet, d’après S. Isidore, "le séditieux est celui qui jette la dissension parmi les esprits et provoque des discordes ". Or, celui qui fait commettre un péché ne commet pas un péché différent de celui qu’il suscite. Il semble donc que la sédition ne soit pas un péché spécial, distinct de la discorde.

2. La sédition implique une division. Or, le mot même de schisme se prend de la scission, nous l’avons vu plus haut. Le péché de sédition ne semble donc pas distinct du péché de schisme.

3. Tout péché spécial, distinct des autres, ou bien est un vice capital, ou bien découle d’un vice capital. Or, la sédition n’est pas comptée parmi les vices capitaux, ni non plus parmi les vices qui proviennent des vices capitaux, comme on le voit dans Les Morales de S. Grégoire ou ces deux catégories de vices sont énumérées. Donc la sédition n’est pas un vice spécial, distinct des autres.

En sens contraire, dans la 2e épître aux Corinthiens (2Co 12,20), les séditions sont distinguées des autres péchés.

Réponse : La sédition est un péché spécial qui, par un côté coïncide avec la guerre et la rixe, et, par un autre côté, en diffère. Elle coïncide avec elles en ce qu’elle implique une certaine contradiction. Mais elle en diffère sur deux points. D’abord, parce que la guerre et la rixe impliquent une attaque réciproque, en acte. Or, on peut appeler sédition soit une attaque de ce genre, en acte, soit sa préparation. C’est pourquoi la Glose, à propos du texte des Corinthiens, dit que les séditions sont " des soulèvements en vue du combat ", ce qui a lieu quand les hommes se préparent au combat et le recherchent. La seconde différence, c’est que la guerre se fait à proprement parler contre les ennemis du dehors, comme une lutte de peuple à peuple. La rixe, elle, se fait d’un particulier à un autre particulier, ou d’un petit groupe à un autre. La sédition, au contraire, se produit à proprement parler entre les parties d’un même peuple qui ne s’entendent plus ; lorsqu’une partie de la cité, par exemple, se soulève contre une autre. Voilà pourquoi la sédition, parce qu’elle s’oppose à un bien spécial, à savoir l’unité et la paix de la multitude, est un péché spécial.

Solutions : 1. On appelle séditieux celui qui excite la sédition. Et parce que la sédition implique une certaine discorde, le séditieux est celui qui cause non pas une discorde quelconque, mais celle qui divise les parties d’un même peuple. D’autre part, le péché de sédition n’est pas seulement en celui qui sème la discorde, mais aussi en tous ceux qui, d’une manière désordonnée, sont divisés entre eux.

2. La sédition diffère du schisme en deux points. D’abord parce que le schisme s’oppose à l’unité spirituelle de la multitude, qui est l’unité de l’Église, alors que la sédition s’oppose à l’unité temporelle ou séculière du peuple, par exemple de la cité ou du royaume. En outre, parce que le schisme ne comporte pas de préparation à une lutte corporelle et n’implique qu’un désaccord spirituel, alors que la sédition implique la préparation à une lutte corporelle.

3. La sédition, comme le schisme, est contenue dans la discorde. Tous deux sont une certaine discorde, non des particuliers entre eux, mais entre une partie du peuple et une autre partie.

ARTICLE 2 : La sédition est-elle un péché mortel ?

Objections : 1. Il semble que non. En effet, la sédition implique " un soulèvement en vue du combat ", comme nous le montrait la Glose citée plus haut. Or, le combat n’est pas toujours péché mortel. Il est parfois permis et juste, nous l’avons vu précédemment. A plus forte raison, par conséquent, la sédition peut-elle exister sans péché mortel.

2. La sédition est une certaine discorde, on l’a vu. Or, la discorde peut exister sans péché mortel, et parfois même sans aucun péché. Donc la sédition également.

3. On félicite ceux qui délivrent le peuple d’un pouvoir tyrannique. Or, cela ne peut guère se faire sans quelque dissension au sein du peuple, alors qu’une partie s’efforce de garder le tyran, et que l’autre s’efforce de le renverser. La sédition peut donc exister sans péché.

En sens contraire, l’Apôtre (2Co 12,20) interdit les séditions ; et les place parmi d’autres péchés mortels. La sédition est donc un péché mortel.

Réponse : Nous venons de le voir, la sédition s’oppose à l’unité de la multitude, c’est-à-dire à l’unité du peuple, de la cité ou du royaume. Or, S. Augustin dit que le peuple, selon le témoignage des sages, désigne " non point l’ensemble de la multitude, mais le groupement qui se fait par l’acceptation des mêmes lois et la communion aux mêmes intérêts ". Il est donc manifeste que l’unité à laquelle s’oppose la sédition est l’unité des lois et des intérêts. La sédition s’oppose ainsi à la justice et au bien commun. C’est pourquoi elle est, de sa nature, péché mortel, et d’autant plus grave que le bien commun auquel s’attaque la sédition est plus grand que le bien privé auquel s’attaquait la rixe.

Toutefois, le péché de sédition appartient d’abord et à titre de principe à ceux qui excitent la sédition. Ceux-là pèchent très gravement. Secondairement, à ceux qui les suivent, et qui troublent le bien commun. Quant à ceux qui défendent le bien commun en leur résistant, ils ne doivent pas être appelés séditieux ; pas plus que ceux qui se défendent ne sont coupables de rixes, nous l’avons dit.

Solutions : 1. Le combat qui est permis se fait pour l’utilité commune, nous l’avons vu plus haut. La sédition, au contraire, se fait contre le bien commun du peuple. C’est pourquoi elle est toujours un péché mortel.

2. La discorde au sujet de ce qui n’est pas manifestement un bien peut exister sans péché. Mais la discorde au sujet de ce qui est manifestement un bien ne le peut pas. La sédition est une discorde de cette espèce, puisqu’elle s’oppose à l’utilité du peuple, qui est manifestement un bien.

3. Le régime tyrannique n’est pas juste parce qu’il n’est pas ordonné au bien commun, mais au bien privé de celui qui détient le pouvoir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition ; si ce n’est peut-être dans le cas ou le régime tyrannique serait renversé d’une manière si désordonnée que le peuple qui lui est soumis éprouverait un plus grand dommage du trouble qui s’ensuivrait que du régime tyrannique. C’est davantage le tyran qui est séditieux, lui qui nourrit dans le peuple les discordes et les séditions, afin de pouvoir le dominer plus sûrement. C’est de la tyrannie, puisque c’est ordonné au bien propre du chef, en nuisant au peuple.

La Cour militaire de justice

La Cour militaire de Justice fut créée par ordonnance le 1er juin 1962. Ses jugements étaient sans appel ; aucun recours n’était possible à part la grâce présidentielle. Elle condamna à mort le lieutenant Degueldre qui fut fusillé le 6 juillet 1962. Son existence fut déclarée illégale par le Conseil d’Etat le 19 octobre 1962. Passant outre cet avis, les députés lui redonnèrent le 15 janvier suivant une existence légale jusqu’au 25 février. Les avocats des accusés du Petit-Clamart firent alors l’impossible pour que le procès ne soit pas terminé à cette date afin qu’une juridiction avec appel puisse prendre le relais. Devinant leur intention, le gouvernement fit voter le 13 février la prolongation de la Cour militaire de Justice jusqu’à la clôture des débats.